L’IGP, une reconnaissance territoriale et qualitative dans l’agroalimentaire

L’Indication Géographique Protégée (IGP) figure parmi les signes officiels de qualité les plus connus et transversaux du paysage agroalimentaire européen. Instaurée en 1992 par l’Union Européenne, l’IGP valorise le lien entre un produit et un territoire, qu’il s’agisse de denrées alimentaires, de vins, ou de boissons spiritueuses. En France, au 1 janvier 2024, 256 produits alimentaires et 75 vins bénéficiaient d’une IGP (INAO).

Obtenir ce label n’est pas une démarche anodine : c’est la reconnaissance d’un savoir-faire, d’une histoire partagée et d’une authenticité. Mais quels sont véritablement les critères que doit remplir un produit pour espérer afficher ce logo bleu et jaune sur son emballage ?

Définition réglementaire de l’IGP : bien plus qu’une simple provenance

L’IGP certifie qu’au moins une étape de la production, de la transformation ou de l’élaboration a lieu dans une aire géographique déterminée. Autrement dit, contrairement à l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC/AOP), qui exige que toutes les étapes aient lieu sur un territoire strict, l’IGP reconnaît la notoriété et le lien à la zone sans imposer une identité totalement fermée.

Ce critère d’attachement géographique est défini par le Règlement (UE) n° 1151/2012 relatif aux Systèmes de la qualité des produits agricoles et des denrées alimentaires.

Les critères majeurs à respecter pour décrocher une IGP

1. Une aire géographique précise et reconnue

  • Délimitation stricte du territoire : L’aire concernée est définie par des critères objectifs (communes, départements, caractéristiques physiques…)
  • Notoriété de la zone : La région doit être identifiée de longue date comme associée au produit en question. La publication de textes, de cartes postales anciennes ou de références historiques peut appuyer cette notoriété.

Par exemple, l’IGP Canard à foie gras du Sud-Ouest s’étend sur plus de 10 départements entre Aquitaine, Midi-Pyrénées et Poitou-Charentes, justifiée par une tradition séculaire d’élevage palmipède, largement documentée (source : INAO).

2. Un lien avéré entre le produit et son origine

  • Facteurs naturels et humains : Le dossier IGP doit démontrer comment le climat, le sol, l’eau ou les savoir-faire présents localement influencent le caractère du produit, même si seulement une partie de la production a lieu dans la région.
  • Démonstration de la spécificité territoriale : Le producteur doit prouver ce lien par des études historiques, techniques et scientifiques.

Exemple emblématique : l’IGP Emmental de Savoie résulte d’un processus de fabrication et d’affinage hérités des fromagers alpins, adaptés au lait des troupeaux locaux élevés en altitude, sur des herbages spécifiques.

3. Élaboration collective d’un cahier des charges précis

Le cahier des charges est le pilier central du projet IGP. Il détaille tous les critères techniques, définis collectivement par la filière professionnelle, puis validés par les pouvoirs publics.

  • Étapes incontournables :
    • Détermination des matières premières autorisées
    • Définition des caractéristiques organoleptiques (goût, texture, couleur…)
    • Précision des règles d’élevage, de culture, d’alimentation animale, techniques de fabrication, durée d’affinage ou de maturation, emballage...
    • Mention des contrôles internes, de la traçabilité et des procédures qualité
    • Indication des méthodes traditionnelles, le cas échéant

Par exemple, pour l’IGP Saucisse de Morteau, le cahier des charges impose non seulement les races de porcs autorisées, mais aussi l’utilisation obligatoire du boyau naturel, le fumage traditionnel à la sciure de résineux locaux pendant au moins 48 heures et la forme caractéristique de « fer à cheval » (source : INAO, dossier INAO Morteau).

4. Justification historique et réputation

Le demandeur doit étayer la popularité et la réputation de son produit sur le territoire : presse ancienne, ouvrages, exportations historiques, retours de consommateurs, données économiques. L’IGP Pomme du Limousin, par exemple, tire sa distinction de références dès le 18 siècle à la « pomme grise du Limousin », réputée dans toute la France.

5. Procédures de demande et contrôles : une rigueur documentaire

  1. Montage du dossier IGP : le collectif de producteurs, fédéré en organisme de défense et de gestion (ODG), rédige la demande, le cahier des charges, l’étude du lien au terroir et la notoriété.
  2. Examen par l’INAO : l’Institut National de l’Origine et de la Qualité contrôle la cohérence du dossier en lien avec les textes européens.
  3. Enquête publique et oppositions : la demande fait l’objet d’une consultation publique.
  4. Enregistrement européen : Après validation nationale, l’Union Européenne statue sur l’inscription définitive.

Le temps moyen pour obtenir une IGP en France est de 4 à 6 ans entre la toute première réflexion et la parution au Journal Officiel de l’UE.

6. Contrôles indépendants et suivi

La certification IGP n’est pas un label de papier. Des organismes certificateurs accrédités (par exemple : Certipaq, Bureau Veritas Certification…) contrôlent sur le terrain la conformité des exploitations et des produits avec le cahier des charges, a minima une fois par an. En 2022, 8 500 opérateurs français étaient contrôlés au titre de l’IGP (INAO).

En cas de manquement, exclusion temporaire, voire radiation du label, sont possibles. Cette rigueur est fondamentale pour conserver la confiance des consommateurs.

Chiffres clés et anecdotes sur l’IGP en France

  • En 2022, 21 milliards d’euros de chiffre d’affaires ont été générés en France par les produits bénéficiant d’une IGP (source : INAO, chiffres d’affaires cumulés, incluant vins et produits alimentaires).
  • Les fruits, légumes et céréales représentent plus de 45% des IGP alimentaires françaises ; les viandes et charcuteries, 33 % (source : Agence Bio).
  • L’IGP Cantal regroupe aujourd’hui 800 producteurs laitiers, 120 ateliers de transformation et génère 18.000 tonnes de fromages par an.
  • Certains produits célèbres à l’export, comme le Bœuf de Charolles ou le Piment d’Espelette, ont vu leur notoriété bondir après obtention de l’IGP.

Synthèse des critères en tableau

Critère Description Exemple concret
Zone géographique délimitée Définie clairement par le cahier des charges, validée administrativement Périmètre de 3 départements pour le Jambon de Bayonne
Lien au terroir Justification du lien entre caractéristiques et territoire, facteur naturel et humain Herbage montagnard pour le Saint-Nectaire
Cahier des charges collectif Techniques agricoles & de transformation définies, exigences qualités explicites Affinage bois local pour le Saucisson d’Ardèche
Répuration historique Documents, presse, usages locaux, études notoriété Pomme du Limousin citée dans des ouvrages du 18 siècle
Contrôles indépendants Audits annuels, traçabilité, sanctions en cas de non-respect Certipaq, Bureau Veritas Certification, etc.

Perspectives : pourquoi ces critères sont-ils garants de confiance ?

L’IGP n’est pas un simple logo marketing : c’est le fruit d’une démarche collective et rigoureuse, portée par des professionnels et reconnue par les autorités en France comme à Bruxelles. Chaque critère – de la définition du terroir aux contrôles – vise à protéger non seulement le producteur, en valorisant un patrimoine commun, mais aussi le consommateur, qui retrouve dans le produit l’empreinte unique de son origine.

À l’heure où 76 % des Français déclarent vouloir des produits alimentaires traçables et authentiques (source : Ifop 2023), l’IGP apparaît comme un repère sûr et dynamique, en phase avec l’évolution des attentes alimentaires et sociétales.

En France, la diversité des IGP est un véritable panorama vivant : des herbes de Provence au Pruneau d’Agen, de la Lentille verte du Puy à la Volaille de Bresse, chaque produit labellisé incarne la richesse et l’innovation des territoires. L’enjeu pour les prochaines années sera d’accompagner l’émergence de nouvelles demandes – boissons non alcoolisées, produits transformés innovants – tout en préservant la robustesse des critères de départ, socle indéfectible de la confiance collective.

Sources : INAO (institut national de l’origine et de la qualité : inao.gouv.fr), Agence Bio, Ifop, Règlement UE 1151/2012, Chiffres 2023 Produits sous IG – FranceAgriMer