Pourquoi l’IGP séduit-elle autant les producteurs en France ?
L’IGP a le vent en poupe : à la fin 2023, 146 IGP alimentaires (hors vins et spiritueux) étaient homologuées en France (source : INAO), couvrant un large éventail de produits – charcuteries, viandes, fruits, fromages ou miels. Pour les producteurs, l'IGP offre trois avantages incontournables :
- Accroître la valeur ajoutée : Selon l’INAO, la mention IGP permet une valorisation tarifaire moyenne de 15 à 30 % par rapport à un produit standard équivalent.
- Protection à l’échelle européenne : Grâce à un enregistrement officiel, le produit est protégé contre l’usurpation partout dans l’UE.
- Renforcer la notoriété du terroir et des savoir-faire : L’IGP fait du territoire un véritable argument commercial, fondé sur des pratiques typiques et reconnues.
Prenons l’exemple du Piment d’Espelette AOP : avant sa reconnaissance européenne en 2000 (puis IGP en 2002), on recensait seulement 9 producteurs. En 2023, ils sont plus de 200 (source : Syndicat du Piment d’Espelette), avec un chiffre d’affaires qui a décuplé. L’IGP a servi de levier à une renaissance économique et culturelle du produit et du territoire.
IGP : définition et critères fondamentaux
L’IGP désigne un produit dont la qualité, la réputation ou toute autre caractéristique peut être attribuée à son origine géographique. Le lien au terroir n’est pas aussi étroit que pour l’AOP, mais reste fondamental. Pour être éligible, il faut remplir trois grands critères (source : Règlement (UE) n°1151/2012) :
- Identification du territoire : un espace délimité, à la fois historiquement et géographiquement, où certaines étapes de production, de transformation ou d’élaboration doivent avoir lieu.
- Caractéristiques spécifiques : le produit possède une qualité ou une réputation clairement liées à ce territoire.
- Cahier des charges : une description technique explicite de la production, transformation, liens historiques et caractéristiques du produit.
À noter : Pour l’IGP, au moins une étape parmi la production, la transformation ou l'élaboration doit impérativement avoir lieu sur le territoire délimité — contrairement à l’AOP qui exige l’ensemble du processus sur place.
Étape 1 : Structurer une démarche collective et identifier le bon périmètre géographique
L’IGP n’est pas une démarche individuelle. La demande émane nécessairement d’un groupement de producteurs ou d’acteurs économiques, rassemblés souvent sous la forme d’un syndicat ou d’une association loi 1901. Cette démarche garantit la représentativité (au moins 51 % des opérateurs du secteur concerné doivent être impliqués, d’après l’INAO).
- Recensement et mobilisation : Il s’agit d’unir les acteurs de la filière (producteurs, transformateurs, distributeurs locaux…) en amont pour uniformiser pratiques et discours.
- Validation du périmètre : Une étude historique et géographique s’impose pour justifier la zone, à partir d’archives, d’études scientifiques, d’enquêtes d’usage, etc.
Une anecdote : Les lentilles vertes du Puy ont dû prouver par des analyses pédoclimatiques leur spécificité, avec plus de 10 ans d'études et de discussions sur la délimitation exacte de leur zone IGP, illustrant le sérieux des exigences.
Étape 2 : Élaborer un cahier des charges argumenté et scientifiquement étayé
Le cœur du dossier IGP réside dans le cahier des charges. Ce document, public, fixe :
- Les caractéristiques du produit : aspect, goût, texture, composition, mode de présentation.
- Les pratiques autorisées et interdites pour la production et la transformation.
- Le lien avec le territoire : éléments de preuve historiques, culturels ou scientifiques appuyant la spécificité géographique.
- Le schéma de contrôle : modalités d’auto-contrôle, de suivi et d'audit externe (fréquence annuelle, aléatoire ou systématique…)
La rédaction doit être précise et vérifiable. L’appui d’un expert agronome, d’un historien ou d’un laboratoire d’analyses permet d’étayer le dossier. Ces documents techniques servent de référence à tous les futurs opérateurs, mais aussi aux organismes certificateurs qui assureront les contrôles.
Exemple : Le cahier des charges de la « Moutarde de Bourgogne IGP » spécifie non seulement l’origine des graines, mais la variété autorisée (Brassica juncea), le pourcentage minimal de graines bourguignonnes utilisées – 100 % – et l’exclusion de certaines pratiques (exemple : broyage à chaud interdit).
Étape 3 : Déposer le dossier auprès de l’INAO et gérer le processus d’instruction
Une fois le cahier des charges établi, il est soumis à l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO). Ce dépôt doit inclure :
- Un formulaire de demande conforme aux exigences européennes ;
- Le projet de cahier des charges ;
- Un mémoire explicatif ;
- Les éléments scientifiques et historiques ;
- L’accord des parties prenantes et la preuve de représentativité.
L’INAO instruit le dossier en plusieurs phases :
- Contrôle de recevabilité (vérification du formalisme et de la représentativité).
- Analyse technique et échanges : l’INAO mandate une commission d’experts qui échange avec le groupe demandeur, propose d’éventuelles modifications.
- Phase de consultation publique : publication au Journal Officiel, permettant à toute personne ou structure concernée de formuler une opposition sur le projet (délais légaux de deux mois).
Cet examen, particulièrement rigoureux, dure généralement 2 à 3 ans pour les dossiers les plus aboutis, mais certains dossiers complexes peuvent s’étaler sur 6 ans, voire plus.
Étape 4 : Validation nationale puis transmission au niveau européen
Après instruction et levée des éventuelles oppositions, la demande est homologuée par arrêté ministériel et publiée au Bulletin Officiel. Mais tout ne s’arrête pas là : la demande est alors transmise à la Commission européenne (via la DG AGRI), pour instruction et seconde publication au Journal officiel de l’UE.
- Si aucune opposition n’est déposée à ce stade (délai de 3 mois), l’enregistrement est final.
- En cas d’opposition étrangère fondée, ouverture d’une phase de médiation avec la Commission.
Pour information, la France doit en moyenne défendre chaque année 8 à 10 nouveaux dossiers IGP devant Bruxelles (source : Commission européenne, rapport 2023).
À retenir : L’obtention de l’IGP garantit automatiquement une protection dans l’ensemble de l’Union européenne, permettant aux opérateurs de sanctionner efficacement les contrefaçons, y compris sur internet.
Étape 5 : Mettre en place les contrôles et commencer à communiquer
L’IGP ne peut être utilisée qu’après la notification officielle de Bruxelles. Mais il ne suffit pas d’accrocher le logo bleu-jaune sur l'étiquette : chaque opérateur doit :
- Se faire agréer par un organisme certificateur indépendant (exemple : Certipaq, Bureau Veritas…), obligatoirement accrédité par le COFRAC pour le secteur visé.
- Être controlé au moins une fois par an pour vérifier le respect du cahier des charges (échantillonnage, audit documentaire, visites terrain).
- Tenir à jour des registres spécifiques (journal de production, traçabilité, preuves du lien géographique).
Un point capital est la communication : le groupement titulaire du cahier des charges doit définir une stratégie pour informer les consommateurs et défendre la notoriété de l’IGP. Chaque année, près de 300 actions de promotion sont enregistrées pour les IGP françaises, allant de la participation à des salons locaux jusqu’à des campagnes de sensibilisation sur la grande distribution (source : INAO, chiffres internes 2023).
Chiffres clés et conseils pour réussir son dossier IGP
- En 2023, plus de 30 % des nouveaux dossiers IGP déposés en France concernent des filières émergentes ou en reconversion (exemple : produits à base de châtaigne ou volailles alternatifs).
- Près de 85 % des dossiers reçoivent des demandes de compléments ou de rectifications en première instruction par l’INAO : l’accompagnement par un expert ou une structure spécialisée (CCI, chambres d’agriculture) accélère le processus.
- Moins de 10 % des produits sous IGP voient leur réputation contestée après homologation, preuve de la robustesse de la procédure française (source : Commission européenne).
Le mode d’organisation collective reste le facteur n°1 de réussite : mutualiser les expertises (juridique, historique, agronomique), anticiper la promotion et planifier un budget sur 3 à 5 ans sont des clés de succès avérées. À titre d’exemple, la filière Charolais du Bourbonnais a investi plus de 800 000 euros en dix ans (études historiques, labellisation, communication, contrôles), pour un retour économique multiplié par 2,7 sur cette même période selon la DRAAF Auvergne (2022).
Vers de nouveaux horizons pour l’IGP française
Alors que la consommation responsable s’affirme comme une tendance de fond, l’IGP apparaît pour de nombreux producteurs comme un outil de différenciation, d’ancrage territorial et de pérennisation des savoir-faire. Les perspectives 2024-2026, portées par le projet de « Stratégie nationale pour les IGP » (Ministère de l’Agriculture), misent sur des filières innovantes : le végétal local, les produits de la mer, l’apiculture ou encore certaines boissons artisanales pourraient voir arriver de nouvelles IGP collective.
À chaque étape, minutie et rigueur s’imposent. Pour décrocher ce label, il est indispensable de bâtir un collectif solide, de documenter chaque caractéristique et de jouer la carte de la transparence. L’expansion des IGP françaises, qui représente plus de 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an (source : INAO), témoigne de l’attachement croissant des consommateurs à l’authenticité et à la qualité territoriale.
Sources : INAO, Commission européenne, Ministère de l’Agriculture, Syndicats IGP, rapport DRAAF Auvergne, Règlement (UE) n°1151/2012 et dossiers publics de l’INAO.